L'HOMME INVISIBLE

Voir ce qui ne se voit pas : les origines

 

Initié par H.G. Wells dès 1897 dans son roman L'homme invisible, le thème est devenu un vrai mythe cinématographique, notamment sous l'influence de James Whale, qui réalise L'homme Invisible en 1933.

 

Depuis les années 30, le thème de l'homme invisible a été traité de maintes façons, souvent sur le mode de la comédie, occultant l'importance de la réflexion sociale qui était le cœur du roman originel. Dans L'homme invisible de H.G.Wells, le héros Griffin est un étudiant misérable qui, s'il découvre le pouvoir de l'invisibilité, souffre de froid et de faim. La trahison de son ami le docteur Kemp, d'un rang social supérieur, finissant de pousser le jeune homme vers la déchéance...

 

Avant l'adaptation référence de James Whale, une douzaine de titres avaient déjà relevé la gageure : montrer l'inobservable ! A l'origine de ce thème récurrent du fantastique, deux romans : "Le secret de Wilhelm Storitz" de Jules Verne et "L'homme invisible", paru quelques années plus tard en 1897, de H.G.Wells. Tous deux racontent l'histoire d'un chercheur devenu un homme invisible et confronté à la solitude et à la déchéance, dues à son état. Ce dernier livre inspira le cinématographe naissant : dès les années 1903, Méliès, poète des effets spéciaux, effleura le sujet dans Siva l'invisible , puis Gaston Velle et Gabriel Moreau réalisèrent Les Invisibles en 1905. L'anglais Dave Aylott réalise The Invisible Button (1908), racontant les aventures d'un combattant capable de devenir invisible à la simple pression d'un bouton! L'année suivante marque un pas : Cecil Hepworth et Lewin Fitzamon réalisent Invisibility. dans le film, une poudre magique offre le pouvoir de rendre invisible, la mise en scène est fluide et se démarque de la production de l'époque (Hepworth avait déjà signé un brillant Alice in Wonderland en 1903).

 

Le thème fleurte souvent avec la comédie : Méliès dans son Cycliste invisible en 1912 n'hésite pas à rendre invisible un homme pourchassé en vélo par la police, offrant de bons moments de fou-rire aux spectateurs.

 

Pour arriver aux mêmes résultats, l'américain Walter R.Booth utilise un chien dans The Invisible Dog, dérobant des chapelets de saucisses à la barbe des commerçants. Dans The Invisible Fluid de Wallace Mc Cutcheon, une autre américain, un savant a inventé un sérum dont chaque giclée fait disparaître divers objets, le produit miracle est volé par un garnement qui l'utilise pour diverses farces. Arrêter par la police, il utilise le produit sur lui-même et échappe aux forces de l'ordre. Plus proche du livre initial, l'Homme invisible (An invisible Thief) de Fernand Zecca, utilise également ses pouvoirs pour commettre divers petits délits... Dans Der Yogi de l'allemand Paul Wegener, l'acteur-réalisateur se sert de ses pouvoirs à des fins plus nobles : arrêter un autre savant ayant commis des crimes. En 1923, toujours en Allemagne, Fritz Lang tourne la superproduction (en deux époques) Die Niebelungen. Dans la première partie, Siegfried dérobe au gardien du trésor, une cape qui offre l'invisibilité à celui qui s'en revêt...

 

L'invisibilité semble donc être le suprême pouvoir, comme dans The Unknow Purple de Roland West (1923), où encore un savant, incarné par Henry B.Walthall (le petit colonel de Naissance d'une nation de Griffith) se sert de son invention, un rayon de lumière violette le rendant invisible, pour se venger d'un confrère et de son épouse devenu infidèle qui l'ont fait incarcérer (autre pré-figuration de Hollow Man de Paul Verhoeven). Malgré l'avalanche de films où le thème est effleuré, aucun ne le place vraiment comme centre d'intérêt d'un film, si ce n'est sur un plan strictement comique. Il faudra attendre les années 30 pour que le mythe de l'Homme invisible acquiert une réelle dimension sous l'impulsion des studios Universal.

Universal créé un mythe

En 1933, les studios Universal sont à leur apogée. Dopés par les succès récents de La Momie et de Dracula, ils déçident de confier la réalisation de l'adaptation du roman de Wells à James Whale. Ce dernier s'est distingué deux années plus tôt avec Frankenstein.

 

Le film est une adaptation quasi identique de l'original, Wells lui-même félicitera Whale pour son travail de reconstitution minutieux. Le scénario de R.C. Sheriff n'inclut que un ou deux épisodes supplémentaires au roman tout en restant d'une grande fidélité. L'histoire raconte l'arrivée d'un étranger, au visage couvert de bandelettes, dans un petit village anglais. Les habitants sont confrontés à cet intrus inopportun qui, trahi par son état, tentera en vain de trouver un soutien dans un entourage le plus souvent méfiant ou terrorisé. Il sombrera peu à peu dans la folie avant de trouver un dénouement tragique -et rédempteur- sous les balles des policiers à ses trousses.

 

Le film reste un des sommets du genre, alliant un propos et une technique novateurs, les réalisateurs n'hésitant pas à travailer chaque scène image par image pour y inclure des effets spéciaux. L'homme invisible (Jack Griffin) est interprété par Claude Rains avec maestria et le film peut être encore vu de nos jours sans paraître démodé! James Whale s'est appuyé sur les extraordinaires effets spéciaux de John Fulton, technicien précurseur qui participa aux réussites de la série des Frankenstein, La Conquête de l'espace et Les dix commandements, où il dirigea la fameuse scène de la traversée de la Mer Rouge...

En outre, Whale imposa deux de ses collaborateurs sur le film : Charles Hall, le directeur artistique et le chef-opérateur Arthur Edeson qui participent beaucoup à la pérennité du film. 

Ce n'est que sept ans plus tard que L'homme invisible connait une suite au titre attendu : Le retour de l'homme invisible (1940) écrit par Curt Siodmak et réalisé par Joe May. Un condamné à mort (Vincent Price), accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis, se fait inoculer le sérum d'invisibilité détenu par le frère du défunt Jack Griffin. Ce sérum va permettre à Vincent Price de mener sa propre enquête et à confondre le vrai meurtrier. La séquelle manque d'inventivité malgré un casting prestigieux réunissant Price, John Sutton et Cedric Hardwick, et des effets spéciaux toujours signé par John Fulton.  

 

La même année, le thème est décliné au féminin avec La Femme Invisible (1940), signé par Edward Sutherland, avec Virginia Bruce et John Barrymore. Dans ce troisième épisode, le professeur Gibbs a inventé une formule pour devenir invisible. A la recherche d'un cobaye, il rencontre Kitty Carroll, mannequin au chômage qui accepte de s'inoculer le sérum. Forte de ses nouveaux pouvoirs, elle va se venger de son ancien employeur, et après de multiples péripéties elle finit par épouser un riche homme d'affaires qui lui donnera un fils... doté des mêmes pouvoirs que sa mère. Le film est loin de l'oeuvre originale mais possède un charme encore présent aujourd'hui. 

Durant la seconde guerre mondiale, l'homme invisible participe également à l'effort de guerre avec L'homme invisible contre la gestapo (sorti en France en 1949) dans lequel, comme beaucoup de super-héros de l'époque, le héros (John Hall) combat les nazis et les japonais. Sous les traits de l'espion nippon Ikito on retrouve Peter Lorre (M. Le Maudit) et les effets spéciaux sont toujours signés de John Fulton (nominé aux oscars pour le film). Sur un scénario de Curt Siodmak, l'homme invisible contre la gestapo brasse les genres du film policier, au film de guerre avec une trame fantastique : l'homme invisible profite de ses capacités pour voler la liste des agents ennemis infiltrés sur le territoire des Etats-Unis puis sauve New-York d'une attaque aérienne allemande. Universal se sert une fois de plus du mythe pour soutenir les américains dans le confil armé, on ne pourra pas dire que l'homme invisible était "planqué" pendant la guerre! 

En 1944, la série est confiée à Ford Beebe, l'auteur du serial en 15 épisodes Flash Gordon Trip To Mars mettant en scène le héros de B.D. d'Alex Raymond. Le film s'intitule La vengeance de l'homme invisible (The Invisible Man's Revenge-1944) et restera inédit en France. Le film ne connaît qu'un succès relatif : le scientifique Peter Drury teste sa nouvelle formule sur Robert Griffin, un fugitif qu'il a accueilli. Ce dernier devient alors invisible et décide de se venger contre un couple qui l'avait trompé des années auparavant et laissé pour mort en Afrique. Pourchassé par la police et compte sur l'appui d'un de ses confrères pour se sortir de ce mauvais pas. 

 

Deux comiques de la firme Universal s'emparent alors du personnage pour le tourner en parodie dans Bud Abbott et Lou Costello contre l'Homme Invisible en 1951, dans une réalisation de Charles Lamont. Titre erroné puisqu'en fait, les deux compères aidaient l'homme invisible dans une enquête abracadabrante, l'invisibilité étant le plus souvent prétexte à de nombreux gags : l'homme invisible mangeant un plat de spaghettis ou un combat de boxe à trois...

 



FILMOGRAPHIE

Siva l'invisible, George Méliès, 1903, France.

 

Les invisibles, Gaston Velle et Gabriel Moreau, 1905, France

 

The Invisible Button, Dave Aylott, 1908, Grande-Bretagne.

 

The Invisible Fluid, Wallace Mc Cutcheon, 1908, Etats-Unis.

 

Invisibility, Lewin Fitzamon et Cecil Hepworth, 1909, Grande-Bretagne.

 

The invisible Dog, Walter R.Booth, 1909, Grande-Bretagne.

 

L'homme invisible (An Invisible Thief), Ferdinand Zecca, 1909, France.

 

Le cycliste invisible, George Méliès, 1912, France.

 

The Black Box, Otis Turner (serial), 1915, Etats-Unis.

 

Her invisible Husband, Matt Moore, 1916, Etats-Unis.

L'histoire : Un mari, rendu invisible par un magicien, assiste au mariage de sa veuve, car ayant disparu tout le monde le croit mort. Furieux, le mari invisible s'aperçevra tardivement qu'il faisait un rêve dû à un coma éthylique!

 

Die Niebelungen, Fritz Lang, 1923, Allemagne.

Scénario : Thea Von Harbou. Directeurs de la photo : Carl Hoffman, Gunter Rittau et Walter Ruttman.

 

L'homme invisible (The Invisible Man), James Whale, 1933, Etats-Unis.

 

Topper (Le couple invisible), Norman Z.McLeod, 1937, Etats-Unis.

 

Topper take a Trip (Fantômes en croisière), Norman Z.McLeod, 1939, Etats-Unis.

 

Le retour de l'homme invisible (The Invisible Man returns), Joe May, 1940, Etats-Unis.

 

La femme invisible (The Invisible Woman), Edward Sutherland, 1941, Etats-Unis.

 

Topper returns (Le retour de Topper), Roy Del Ruth, 1941, Etats-Unis.

 

Dick Tracy vs Crime Inc., William Whitney (serial en 15 épisodes), 1941, Etats-Unis. D'après le personnage de la bande dessinée de Chester Gould. Le célèbre détective Dick Tracy affronte un gangster ayant le pouvoir de devenir invisible dans un film à épisodes assez spectaculaire. 

 

Invisible Ghost, Joseph H.Lewis, 1941, Etats-Unis.

 

L'homme invisible contre la Gestapo, Edwin L.Marin, 1942, Etats-Unis.

 

Invisible Man's Revenge, Ford Beebe, 1944, Etats-Unis.

 

Deux nigauds contre l'homme invisible (Abbott and Costello Meet the Invisible Man), Charles Lamont, 1951, Etats-Unis.

 

 

Bud Abbott et Lou Costello contre l'Homme Invisible



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