TRON : L'HERITAGE (2010)

Vingt-huit ans après le film visionnaire -et sous-estimé- de Steven Lisberger, Tron : L’Héritage réactive la matrice d’un univers culte et en propose une relecture encore très contemporaine. Cette fois-ci, sous la direction de Joseph Kosinski, architecte de formation et styliste du numérique, le film s’impose comme une expérience sensorielle totale (même visionné à la télévision) : un voyage dans un monde de lumière et de données, où la géométrie devient spectacle et la technologie, émotion. 

L’esthétique froide et abstraite du premier film trouve ici une dimension immersive grâce à l’alliance entre les effets spéciaux d’Industrial Light & Magic, et la partition électro-symphonique de Daft Punk, véritable B.O. décoiffante et colonne vertébrale du récit. La musique, tantôt martiale, tantôt élégiaque, rythme la cadence d’un monde à la fois artificiel et mélancolique. 

Pourtant, le film n’est pas exempt de failles : le scénario reste linéaire, le choix de Garrett Hedlund (Sam Flynn) bien trop lisse et peu charismatique, Jeff Bridges rajeuni en CGI pas toujours réussi, mais ces limites sont dépassées devant la cohérence esthétique et la maîtrise technique de l’ensemble et se réinvente en prolongeant un mythe sans le trahir, tout en lui donnant une identité propre. 

Pas qu'un simple exercice de style : derrière les armures luminescentes et les batailles de disques se cache une métaphore sur la filiation et la création numérique.

Le face-à-face entre Kevin Flynn (Jeff Bridges) et son double corrompu CLU, figure d’un démiurge dépassé par sa propre invention, offre une résonance quasi mythologique.

Kosinski explore ici le rêve – et le cauchemar – d’un monde parfait, interrogant notre rapport à la technologie, à l’héritage et… à la quête de perfection à travers la relation entre Kevin Flynn et sa création, Clu. Ce dernier, programmé pour “créer le système parfait”, finit par transformer le monde numérique de La Grille en dictature glaciale. Clu incarne la dérive du perfectionnisme : en voulant éliminer toute imperfection, il détruit la liberté et la diversité. Son monde est ordonné mais vide, géométrique mais sans âme. 

Cette obsession du contrôle symbolise la tentation humaine de la perfection technologique — une perfection rigide, stérile, impossible. À l’inverse, Kevin Flynn évolue vers la sagesse (c'est dans la position d'un vieux sage qu'on le découvre) : il comprend que la véritable beauté se trouve dans l’imperfection et la spontanéité. L’apparition des ISO, programmes nés sans programmation, représente la vie imprévisible et créative que Clu ne peut accepter. Flynn reconnaît alors que la perfection n’est pas un état fixe, mais un équilibre vivant entre ordre et chaos. 

Symphonie visuelle et encore futuriste dans ces SFX (même 15 ans plus tard), un film d’architecture et de lumière qui assume sa froideur comme sa beauté. Moins une suite qu’une réinvention contemplative, il jette un pont entre deux générations, entre deux mondes : celui des pixels et celui des rêves, mais la perfection n’existe pas — et c’est ce qui rend le monde vivant. 

Premier film

Le tournage de Tron : L'Héritage s’est achevé en seulement 64 jours (entre avril et août 2009, principalement dans les studios de Vancouver au Canada), tandis que la phase de postproduction, fortement marquée par la complexité des effets visuels, s’est étendue sur 68 semaines. Avec un budget estimé à 170 millions de dollars, il s’agit du film le plus coûteux jamais confié à un réalisateur faisant ses débuts : Joseph Kosinski. Warner Bros. l'avait contacté trois ans plus tôt pour diriger le remake de L'Âge de cristal (1976 mais le projet n'aboutira finalement pas. Avec sa solide expérience dans la 3D, Walt Disney Pictures l'engage pour réaliser une autre suite : celle de Tron (1982) de Steven Lisberger.

Avec Tron: L’Héritage, Kosinski hérite d’un mythe numérique et le propulse dans une dimension quasi mystique. Le film, suite directe du Tron originel, reste aujourd’hui un jalon visuel majeur du cinéma numérique. Plus qu’une simple résurrection, le film est une expérience sensorielle : un monde de néons, de circuits et de matière-lumière où la musique de Daft Punk devient l’âme vibrante d’un univers abstrait.

Kosinski, champion du box-office

Mais derrière la virtuosité des effets spéciaux et la prouesse technique du rajeunissement numérique de Jeff Bridges, Kosinski pose une question centrale : que devient l’humain dans un monde qu’il a lui-même créé ? Le film, souvent mésestimé à sa sortie, annonçait déjà les obsessions de son auteur : la solitude, la notion de mémoire, la filiation et le rapport ambigu entre créateur et création. 

Trois ans plus tard, Kosinski signera Oblivion (2013), superbe élégie post-apocalyptique portée par Tom Cruise. Loin des clichés du genre, le film imposera une science-fiction contemplative comme en apesanteur avec une architecture omniprésente.

Il retrouvera l'acteur en mai 2018 pour le tournage de la suite du film culte Top Gun de Tony Scott, Top Gun: Maverick qui sera une énorme un succès mondial (1 487M$ de recettes et plus de 6,6 millions de spectateurs en France). 

Entre-temps, il réalisera le thriller de SF Spiderhead diffusé en juin 2022 sur Netflix. Dernièrement, il a réalisé F1 Le film, avec Brad Pitt, autre énorme succès avec plus de 620 M$ de recettes et plus de 3,2 millions de spectateurs français.

Costumes éclairés

Le budget consacré aux costumes du film atteignait la somme impressionnante de 13 millions de dollars. À titre d’exemple, chaque tenue conçue sur mesure pour les pilotes revenait à environ 60 000 dollars pièce. Malgré cela, les costumes ont posé de nombreux défis techniques durant le tournage. Chacun d’eux intégrait une batterie au lithium destinée à alimenter les circuits des bandes lumineuses, mais leur autonomie ne dépassait pas douze minutes. Pour éviter toute perte d’énergie, l’équipe devait activer les lumières juste avant chaque prise et les couper aussitôt après. En outre, les circuits internes se révélaient extrêmement délicats, contraignant les comédiens à demeurer immobiles entre deux scènes, souvent appuyés contre des panneaux spécialement installés pour éviter d’endommager les costumes. Les costumes étaient aussi très chauds, et entre chaque prise, les acteurs se mettaient sous des climatiseurs pour se rafraîchir.

Jeff Bridges rajeuni

Pour donner vie au programme informatique CLU, le visage de Jeff Bridges a été numériquement "rajeuni" à l’aide de la même technologie que celle employée dans le film L’Étrange Histoire de Benjamin Button (2008) où on voyait un Brad Pitt en vieillard. Ainsi, dans le rôle de Kevin Flynn, Bridges apparaît avec son âge réel de 61 ans, tandis qu’en incarnant CLU - un programme conçu dans les années 1980 - il arbore une apparence d’homme d’une trentaine d’années, fidèle à la logique du monde numérique où le temps n'a pas d'emprise. Pour ce rajeunissement, Lla version numérique du jeune Jeff Bridges a été conçue à partir d’extraits du film Contre toute attente (1984), deux ans après le Tron originel de 1982. Avec cette base visuelle, Jeff Bridges a ensuite porté un casque spécial muni de quatre caméras positionnées avec précision, chargées de capturer le moindre détail de ses expressions faciales en motion capture. Ces données ont ensuite servi à une reconstitution numérique ultraprécise de son visage, garantissant un réalisme optimal à l’écran (mais perfectible vu en 2025). Au total, près de deux années de travail ont été nécessaires pour aboutir au résultat à l'écran.

Un Tron sans Tron ?

Les premières ébauches du scénario ne prévoyaient pas la présence du personnage d’Alan Bradley. Ce n’est qu’à la suite d’un vif mécontentement exprimé par Bruce Boxleitner lui-même et par les fans du film original que le rôle fut réintégré. La prestation de Boxleitner s’avéra si convaincante qu’il participa ensuite à plusieurs événements promotionnels en incarnant Alan Bradley, avant de reprendre la voix du personnage de Tron dans la série dérivée en dessin animé Tron : La Révolte (2012), diffusée sur Disney X.

Jeff Bridges (Kevin Flynn / Clu) et Bruce Boxleitner (Alan Bradley / Tron) sont les deux seuls acteurs à apparaître à la fois dans Tron (1982) et Tron : L'Héritage.

En 3D natif

À la différence de nombreux films de la même période, Tron : L'Héritage a été tourné en 3D native, plutôt que converti en postproduction. Le matériel de tournage employé représentait par ailleurs une évolution technologique majeure, surpassant même la génération de caméras 3D utilisée pour Avatar (2009).

Kosinski et le directeur de la photographie Claudio Miranda ont utilisé les caméras Sony F35, puis les caméras 3D Pace Fusion, spécialement modifiées pour filmer dans le monde virtuel de la Grille : "Nous voulions que le spectateur ressente la profondeur et la texture du monde numérique comme s’il y était plongé physiquement", expliquait le réalisateur..

Les motos-lumières

Le film compte au total plus de 1500 effets visuels, mêlant environnements réels et images de synthèse. Le monde numérique de la Grille a été modélisé intégralement en 3D, avec un style visuel épuré et géométrique inspiré de l’architecture moderniste et du design automobile. Les motos  ont été réalisées grâce à un mélange de maquettes numériques et de prises de vue réelles sur fond vert, avec des caméras fixées sur des bras robotiques pour simuler les accélérations vertigineuses

Le maquillage des Siren

D’après Beau Garrett (Siren Jem), le maquillage de chaque actrice incarnant une Siren nécessitait entre trois et cinq heures de préparation, contre seulement une heure et demie pour être retiré. La principale particularité de leurs costumes, comparés à ceux des autres programmes, tenait à l’ajout d’une fine couche de caoutchouc identique à celle d'un "ballon" appliquée par-dessus les tenues déjà existantes, accentuant leur aspect lisse et artificiel.

Derezzed

Les artistes Daft Punk et Olivia Wilde, qui incarne Quorra, ont tourné un clip pour le titre "Derezzed" utilisé lors de la scène de la bataille dans le club End of Line. Dans cette vidéo, le duo français pénètre dans la mythique salle d’arcade de Flynn et se lance dans une partie d’un jeu d’arcade fictif signé Encom, intitulé lui aussi "Derezzed". La musique électronique orchestrale de Daft Punk a été enregistrée avec le London Philharmonic Orchestra, contribuant à fusionner l’esthétique numérique et émotionnelle du récit.

Cillian Murphy  dans Tron

Bien qu’il ne soit pas mentionné au générique, Cillian Murphy fait une apparition remarquée au début du film dans le rôle d’Edward Dillinger II, le fils de l’antagoniste principal du premier Tron. Petit clin d’œil malicieux, Dillinger II lâche la phrase “It’s all part of the plan/Tout cela fait partie du plan”, un écho direct à une réplique culte du Joker dans The Dark Knight (2008) de Christopher Nolan, où Murphy incarnait déjà l’Épouvantail — comme un pont ironique entre deux univers de fiction.

Tron: L'Héritage (Tron: Legacy), 2010, Joseph Kosinski, États-Unis / Inde / Royaume-Uni / Mexique / Japon / Canada.

Son : DTS, Dolby Digital, SDDS, Dolby Surround 7.1, Sonics-DDP, Dolby Atmos. Format d'image : 1.78 (quelques scènes IMAX 70mm), 1.90 (quelques scnènes Digital IMAX), 2.39.

Réalisateur : Joseph Kosinski. Durée : 2h05.

Productions : Walt Disney Pictures, Sean Bailey Productions, LivePlanet, Prana Studios, Thomas FX Group.

Distribution France : 

Producteurs : Sean Bailey, Steven Lisberger, Jeffrey Silver.

Co-producteurs : Steve Gaub, Justis Greene, Justin Springer.

Producteurs associés : Bruce Franklin.

Producteur exécutifs : Donald Kushner, Brigham Taylor.

Scénario : Edward Kitsis, Adam Horowitz d'après une histoire de Edward Kitsis, Adam Horowitz, Brian Klugman et Lee Sternthal et des personnage créés par Steven Lisberger et Bonnie MacBird.

Directeur de la photographie : Claudio Miranda.

Direction artistique (superviseurs) : Kevin Ishioka, Mark W. Mansbridge.

Chef décorateur : Darren Gilford.

Décorateur plateau : Lin MacDonald.

Effets spéciaux (sociétés) : Quantum Creation FX, Prologue Films, Digital Domain, Mr. X, Prime Focus World, Prana Studios, Ollin VFX, Whiskytree, Eyeqube Studios, Gentle Giant Studios, Mova, Cinovation Studios, House of Moves Motion Capture Studios.

Montage : James Haygood.

Casting : Heike Brandstatter, Sarah Finn, Coreen Mayrs.

Musique : Daft Punk (Thomas Bangalter, Guy-Manuel De Homem-Christo)

Costumes : Christine Bieselin Clark, Michael Wilkinson.

Interprètes : Jeff Bridges (Kevin Flynn / Clu 2.0), Garrett Hedlund (Sam Flynn), Olivia Wilde (Quorra), Bruce Boxleitner (Alan Bradley / Tron), James Frain (Jarvis), Beau Garrett (Siren Jem), Michael Sheen (Castor), Anis Cheurfa (Rinzler), Serinda Swan (Siren), Yaya DaCosta (Siren), Elizabeth Mathis (Siren), Kis Yurij (L'homme au demi-visage), Conrad Coates (Bartik), Thomas Bangalter (Les DJ masqués), Ron Selmour (Le sans-abri bavard)n, Dan Joffre (Ernie, un agent de la sécurité - Ernie), Darren Dolynski (Un jeune homme), Kofi Yiadom (Un adversaire), Steven Lisberger (Shaddix), Donnelly Rhodes (Le Grand-père Flynn), Belinda Montgomery (La Grand-mère Flynn), Owen Best ( Sam Flynn à 7 ans), Matt Ward (II) (Le garçon Iso), Zoe Fryklund (La fille Iso), Dean Redman (La sentinelle du jet), Mi-Jung Lee (Debra Chung), Chris Logan (Le programme nerveux), Sheldon Yamkovy (Le programme destitué), Dale Wolfe (Irv Culpepper), Joanne Wilson (Une journaliste), Catherine Lough Haggquist (Une journaliste), Thomas Bradshaw (Un agent de sécurité), Shafin Karim (Le chauffeur de taxi), Rob Daly (Le chef des sentinelles), Mike Ching (Le programme de jeu bleu), Michael Teigen (Le programme de jeu vert), Brent Stait (Le programme de jeu violet), Shaw Madson (Un journaliste), Amy Esterle (Mme. Flynn jeune), Cody Laudan (Le videur de la boîte), Jeffrey Nordling (Richard Mackey), Christine Adams (Claire Atkinson), Kate Gajdosik (La présentatrice TV), Jack McGee (Le photographe de la police), Dawn Mander (Le programme qui pleure), John Reardon II (Kevin Flynn jeune),  Cillian Murphy (Edward Dillinger), Brandon Jay McLaren (Sobel), Wes Armstrong (L'assistant de direction), Jennifer Ingrum (L'assistante d'Encom), Ethan Stone (Le serveur).

Date de sortie française : 9 Février 2011.

Date de sortie US : 17 Décembre 2010.

Budget estimé : 170 M€.

Recettes mondiales : 397M$ / 1 215 956 spectateurs en France.